Quand le patriotisme économique ne dit pas son nom

Publié le par Sécurisons les réseaux sociaux


[ 02/12/09  ]

http://www.lesechos.fr/info/energie/020247142981-quand-le-patriotisme-economique-ne-dit-pas-son-nom.htm

Le choix d'Alstom et Schneider est clairement lié à la volonté des pouvoirs publics de maintenir Areva T&D sous contrôle français et de conforter les deux acquéreurs. Mais il ne faut pas le dire…

C'est la phrase du jour. Interrogée hier sur la préférence donnée par l'Etat à Alstom et Schneider, Christine Lagarde a répondu avec candeur : « C'est un heureux hasard que l'offre soit française. » Heureux hasard, vraiment ? Difficile à croire. Si le critère de la nationalité n'avait pas été pris en compte, il est douteux que la solution Alstom-Schneider l'ait emporté. Trois points majeurs jouaient en effet contre elle. Le prix évidemment, le duo tricolore ayant remis une offre inférieure à celle de Toshiba. Le projet industriel ensuite, puisqu'il passe par une scission d'Areva T&D, un « démantèlement » , disent les syndicats. Les relations avec le management, enfin : compte tenu de l'opposition unanime des dirigeants comme des syndicats d'Areva T&D, l'offre d'Alstom et de Schneider présente certains traits d'une OPA hostile.


Les propos de la ministre de l'Economie montrent en fait toute l'ambiguïté de la politique française en matière de « patriotisme économique » . Une politique de plus en plus appliquée, mais qui n'ose pas toujours dire son nom. « En France, on a beaucoup de complexes lorsqu'il s'agit de défendre les intérêts français » , confirme Bernard Carayon, le député UMP qui s'est fait le héraut de cette cause.

Pourquoi ces pudeurs ? Parce que privilégier une solution française en raison de sa seule nationalité, c'est battre en brèche les principes libéraux, européens, ou de simple justice que l'on prêche par ailleurs. C'est creuser l'écart entre le discours officiel ( « que le meilleur gagne ! » « le jeu est ouvert » …), et la réalité, plus proche, parfois, du fait du prince. « Dans l'affaire Areva, pourquoi avoir lancé un appel d'offres si tout était joué d'avance ? s'interroge le conseiller d'un des candidats évincés.  Vue de l'étranger, la France va passer une fois de plus pour une république bananière ! » 

La crainte du démantèlement

Les tenants du patriotisme économique n'en ont pas moins des arguments à faire valoir. « Le choix d'Alstom et de Schneider est dicté par la volonté du président de la République de ne plus revivre ce qu'on a connu avec Pechiney, Arcelor, Gemplus et d'autres , décrypte Bernard Carayon.  C'est à chaque fois pareil : quand une entreprise française est vendue à un étranger, il la démantèle puis rapatrie les activités les plus intéressantes dans son propre pays. Et, lorsqu'il faut fermer des usines, c'est toujours en France. » 

Sur ce fondement, le patriotisme économique est de plus en plus à l'ordre du jour. Dominique de Villepin, alors Premier ministre, avait été le premier à officialiser l'expression en juillet 2005, bien décidé à « protéger » les entreprises bleu-blanc-rouge alors qu'enflaient les rumeurs d'un possible raid américain sur Danone. Et quand l'italien Enel a eu des visées sur Suez, Dominique de Villepin a accéléré la fusion avec Gaz de France. Nicolas Sarkozy n'a pas été en reste. En 2003, il a tout fait pour empêcher qu'Alstom ne tombe, tout ou pour partie, aux mains de Siemens.  L'année suivante, il a bloqué les velléités du suisse Novartis, qui était prêt à épauler Aventis contre l'OPA de Sanofi.

Avec la crise et la création du Fonds stratégique d'investissement (FSI), cette politique a pris plus d'ampleur encore. En entrant via le FSI au capital de Nexans, Technip, Gemalto, etc., l'Etat envoie un message clair : pas touche à ces entreprises stratégiques ! « Bien sûr, on peut contester cet interventionnisme , admet Bernard Carayon. Mais les  Américains, les Canadiens, les Japonais font cela sans se gêner, eux. Et  quand tout le monde pèche, personne ne pèche. Et puis, est-ce vraiment pécher que de favoriser les intérêts français ? » 

DENIS COSNARD, Les Echos

http://www.lesechos.fr/info/energie/020247142981-quand-le-patriotisme-economique-ne-dit-pas-son-nom.htm


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