Les entreprises face à la montée de la violence

Publié le par Sécurisons les réseaux sociaux

Sabotages, séquestrations, homicide sur le lieu de travail… Révélateurs d'une souffrance au travail, ces actes obligent aujourd'hui les dirigeants à s'interroger sur l'organisation des entreprises et les méthodes de management.


Vendredi 30 octobre 2009, au siège de la société de transports Senges, sous-traitant du groupe UPS. Un salarié ouvre le feu et tue sur le coup son patron et le fils de ce dernier. C’est, semble-t-il, un différend professionnel qui serait à l’origine du geste. Le meurtrier – un chauffeur-livreur démissionnaire - s’étant déclaré à bout, excédé par les brimades qu’il subissait, prêt au pire pour se venger…

Ce type d’homicide sur le lieu de travail n’est certes pas aussi fréquent dans l’Hexagone qu’aux Etats-Unis. Mais la violence gagne toutes les organisations, indépendamment de leur taille et de leur secteur d’activité, même si le secteur commercial reste le plus visé (57% des cas), d’après une étude sur les « homicides sur le lieu de travail de 1993 à 2007 » menée à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches (1).

A tel point que le phénomène serait pris très au sérieux par le GIGN (groupe d’intervention de la gendarmerie nationale), s’attendant à une vague de prise d’otages et d’homicides au travail. « Au-delà du suicide qui signe la violence contre soi, la violence physique contre autrui devient omniprésente dans l’entreprise", confirme Jean-Claude Delgènes, Directeur général du cabinet Technologia. Il le voit quotidiennement sur le terrain : des cadres qui en viennent aux mains, des hôtesses qui se tirent les cheveux, des salariés qui s’envoient des objets à la figure, des pneus de véhicules crevés en guise de représailles, des clients qui rouent de coups des salariés au guichet… Sans parler de ce salarié sous pression qui a détruit le bureau de son patron à coup de barre à mine. Parfois, la soif de vengeance ultime n’est pas loin. « Un jour, un cadre de l’hôtellerie m’a avoué qu’il était prêt à embaucher un tueur à gage pour se débarrasser de son manager », se souvient un coach parisien.

Séquestrations et sabotages

Autres signaux avant-coureurs qui se sont multipliés au cours des derniers mois : les séquestrations de patrons. Des actes qui signent une « agression physique passive », selon le psychosociologue Bernard Gbézo, expert en santé au travail auprès du Bureau international du travail (BIT). Ce qu’a vécu Francis Gadioux, séquestré toute une nuit par le personnel de la PME poitevinne qu’il a rachetée : « J’avais annoncé des licenciements pour redresser la société, mais ma décision a provoqué un tollé dans les ateliers », se souvient ce repreneur.

Autre indicateur de violence : les actes de sabotage. On se souvient de ce salarié de la centrale nucléaire de Paluel (Seine-Maritime) qui, en moins de deux heures, avait réussi à casser les trois tranches de la centrale. Sur un autre site, un salarié a été rattrapé de justesse par des collègues : il était prêt à faire sauter la centrale. A l’origine de tous ces gestes, il y a souvent un sentiment d’injustice ou d’incompréhension des salariés, une accumulation de frustrations, un manque de reconnaissance, des décisions mal digérées. « Dans une société où les agents stresseurs font masse sur les individus, ceux-ci en arrivent à ne plus avoir de ressort psychologique pour trouver les mécanismes d’adaptation, ce qui précipite le passage à l’acte, analyse Bernard Gbézo. La violence devient alors une conséquence de la souffrance au travail. »

Questionner l’organisation du travail et le management

Les comportements violents n’arrivent pas par hasard, en effet, au sein d’une organisation. Pour le directeur général de Technologia, ils se produisent lorsque l’entreprise, de par ses modes d’organisation et de management, génère de graves dysfonctionnements, et induit chez les salariés hyper-sollicitation, perte de sens du travail, manque de reconnaissance et de soutien. Certains modes d’organisation sont directement visés, comme le « lean management »*. « Il conduit à une perte d’autonomie et, de ce fait, d’épanouissement des salariés qui finissent par craquer », juge Jean-Paul Even, secrétaire de la section CFDT sur le site PSA de Sochaux, où il note une augmentation inhabituelle des agressions physiques depuis ces derniers mois.

Pour éviter l’escalade, les dirigeants ont donc intérêt à mettre en place la prévention dès les premiers signaux révélateurs de troubles psychosociaux (absentéisme, congés maladies à répétition, fort turnover, conflits verbaux…). «Il est urgent de revenir à des modes de management humains, de remettre à plat l’organisation du travail, jusqu’aux critères d’évaluation des salariés, en réhabilitant la qualité même du travail car celui-ci structure l’identité de l’individu », plaide Jean-Claude Delgènes. Pour Valérie Langevin, responsable du pôle Risques Psychosociaux à l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité), le salut doit passer par l’amélioration du dialogue social entre tous les acteurs de l’entreprise. Les managers de proximité ont bien évidemment un rôle crucial à jouer dans l’équilibre psychologique de leurs collaborateurs, en misant sur la transparence, l’équité dans les décisions et la reconnaissance. Selon Bernard Gbézo, il est en effet plus que jamais nécessaire de préserver les relations humaines, dans une ère marquée par la fin de la toute-puissance hiérarchique et du pouvoir disciplinaire.

Dans un système où, pour reprendre l’expression du psychiatre Christophe Dejours, « ceux qui commettent des actes de violence dans le travail passent pour des coupables et non pour des victimes »(2), les entreprises n’ont aujourd’hui plus d’autre issue que de s’interroger, vraiment, sur les dysfonctionnements liés à l’organisation du travail.

  • (1) Homicides sur le lieu de travail : une étude autopsique sur une période de 15 ans (service d’anatomie pathologique et de médecine légale, hôpital Raymond Poincaré de Garches), 2007.
  • (2) « Violence et domination » (revue Travailler, 1999).
  • « Conjurer la violence » (sous la direction de Christophe Dejours), Payot, 2007.

*Management qui consiste à réduire la durée des cycles de production et augmenter la productivité.

Auteur : Marie-José Gava, Novethic

http://www.inforisque.info/blog-inforisque/index.php?post/1982/2009/12/01/Les-entreprises-face-a-la-montee-de-la-violence

Publié dans Management 2.0

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J
<br /> La viole"nce n'est pas toujours du coté que l'on croit....!:<br /> http://lamauragne.blog.lemonde.fr/2009/12/11/une-decision-de-justice-passee-bieninapercue/<br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> jf.<br /> <br /> <br />
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